A propos de l'exposition trompe-l’oeil / trompe vue:
Tromper l’œil, donner l’apparence du volume, du mouvement, de la vie, au tableau en deux dimensions est l’une des activités majeures de la peinture occidentale depuis l’invention de la perspective à la fin du moyen-âge.
La mise en œuvre de ces techniques illusionnistes donna parfois lieu à des controverses philosophiques mais on s’accorda à leur attribuer la noble tâche de transfigurer la nature en expliquant indirectement les rapports de l’homme à son environnement.

Tout le jeu institué entre les courants de ce que l’on peut nommer « trompe-vue » (usant à peu de choses près des mêmes stratagèmes picturaux) consistait alors à privilégier une certaine organisation des éléments entre eux de manière à faire ressortir par une succession de choix et de détails signifiants un discours particulier d’ordre théorique et littéraire.
En somme le trompe-vue permettait au peintre de mettre son savoir-faire au service non pas d’une simple image, séduisante, bien faite (même si tel était l’effet premier recherché pour attirer le regard, pour susciter l’intérêt...) mais d’un sens complexe et parfois obscur (trompe-sens). Les spécialistes se faisaient déjà alors un plaisir de déchiffrer ces méandres du sens caché pour l’usage du plus grand nombre.

Le « trompe-vue » et le « trompe-sens » sont la base de bien des formes et théories plastiques : classique, caravagiste, baroque, néoclassique, impressionniste, symboliste, nabis, cubiste, futuriste, lyrique, pop, hyperréaliste, cinétique, op’art... Puisqu’il s’agit pour les artistes de se situer dans leur époque par rapport à un espace (symbolique ou réel) à recréer au moyen des outils et des connaissances disponibles. 
Vasarely en son temps reprit le problème du trompe-vue sous l’angle strict de l’optique avec l’art cinétique. Usant des connaissances scientifiques à sa portée il mit en place un alphabet plastique combinant avec rigueur des formes géométriques et des matériaux nouveaux. Le résultat visuel de ses recherches ne va pas aujourd’hui sans évoquer les pixels de nos écrans et les représentations graphiques, les modélisations de certains logiciels informatiques.

En pratique la manipulation informatique est d’ailleurs un élément fondamental de mes propres travaux mais pas dans la forme elle-même. En d’autres termes c’est un moyen et non une fin. Elle n’est par exemple jamais chez moi le point de départ d’une forme ou d’un concept. Par contre l’intervention de l’outil informatique fait partie intégrante du processus intermédiaire d’une œuvre, qu’elle soit peinte ou autre. Cette intervention me mène cependant à une confusion volontaire des genres (trompe-sens).
J’utilise cet outil de façon privilégiée bien que d’autres outils (photocopieuse, archives, négatifs, chimie photographique etc...) puissent tenir aussi bien les mêmes fonctions. 
L’intérêt principal est par exemple l’archivage instantané de gestes et d’étapes d’un processus qui demanderait autrement un nombre infini de photographies. Surtout il se produit une sorte d’agrégation des formes, de fuite vers l’infini des formes possibles qui est à la fois motivante et déroutante. C’est que l’image, à un moment donné est simulée mathématiquement et ne fais plus partie d’une réalité autre que des impulsions électriques.
Mon image devient alors « un espace sans topos, où toutes les dimensions, toutes les lois d’association, de déplacement, de translation, de projections, toutes les topologies sont théoriquement possibles : c’est un espace utopique. » Un espace où les repères existent mais sont confus. Ces infinies variations posent le problème du choix du moment de retour au concret de manière encore plus cruciale.
Le but de mes prestidigitations de formes plastiques et graphiques est de noyer le spectateur tout comme moi un moment... Pour mieux ensuite lui ouvrir les yeux sur le phénomène de trompe-vue dont il a été un temps victime mais qui se dissipe vite pour faire place à d’autres questionnements, plus essentiels.

Chaque série de toiles ou dessins constitue un ensemble pseudo-narratif avec un début, une fin et un déploiement limité mais potentiellement infini de situations intermédiaires.

La photographie (du grec phôs, phôtos, lumière et graphein écrire) c’est à dire l’écriture avec la lumière permet à chacun, disposant d’une boîte noire et de la chimie afférente de se choisir une vision du monde. Dans cette perspective dessiner et photographier font partie d’un seul et même geste. Peindre et dessiner sont tout autant pour moi une activité complémentaire de l’acte photographique, cet acte délibéré de choix d’un cadre qui nous amène après confrontation avec cet enregistrement du réel à voir les choses différemment.

J’espère donc que ce plongeon au creux de la matière minérale et lumineuse vous aura plu.

Pflieger Christelle