Les oeufs de collection

 

 
Au dixhuitième siècle on n'estimait un bon cuisinier, qu'autant qu'il avait l'art d'apprêter les œufs au moins de cinquante manières diverses, et il suffit de consulter l'antique et respectable vade mecum de toute bonne ménagère du temps (la Cuisinière bourgeoise) pour y trouver une longue série de dénominations curieuses données à cette inépuisable variété de plats d’œufs : Œufs en chemises, œufs au miroir, à la tripe, œufs pochés, brouillés, œufs à la huguenote, à la bagnolet, œufs farcis, filés, à la sole, au gratin, œufs à la duchesse, à la jardinière ;Comme il est difficile de se procurer toute l'année des œufs, on a tenté avec succès différents moyens de les conserver, soit cuits ou crus. Du temps de Charles VI, selon l'historien Froissard, on avait soin de placer dans les navires destinés à un long cours, au nombre des provisions de bouche, des moyeux d’œufs battus dont on emplissait des tonneaux, et il est possible que l'usage de conserver des œufs cuits remonte à une époque beaucoup plus reculée ; alors ces jaunes d’œufs étaient presque toujours délayés dans du vinaigre. Mais on est parvenu depuis à conserver des œufs frais et par conséquent crus. Le procédé consiste principalement à envelopper la coque d'un corps gras ou résineux, ou à les plonger dans un sable ou un liquide quelconque qui empêche le contact de l'air et la transsudation de l'oeuf. Ces moyens ont été très perfectionnés dans les Indes et en Angleterre. 

Au XIX e siècle Il se consomme en France annuellement environ pour une somme de trente-huit millions sept cent mille francs d’œufs . Pour Paris seulement. En 1840, la vente des œufs a produit cinq millions trois cent seize mille neuf cent trente-huit francs. On a calculé qu'en Angleterre on en avait importé de différents pays, pendant une année, cinquante millions six cent quarante mille et quelques douzaines ; la Normandie et la Picardie, provinces de France, en avaient à elles seules expédié plus de quarante-neuf millions de douzaines, et les droits d'entrée, à raison de 1 franc par dix douzaines, avaient produit une recette d'environ 436,000 francs (de notre monnaie). On fait aussi commerce de certains œufs de poisson, surtout dans l'Inde, où les œufs de truite sont fort recherchés. 

La médecine tire encore un assez grand parti des œufs pour diverses préparations pharmaceutiques, telles que purgatifs, laits de poule, locks, collyres, sirops, pâtes pectorales, etc. Les coquilles desséchées et broyées ont la même propriété que les écailles d'huître, les yeux d'écrevisse, la nacre de perle, etc. Enfin, les arts et la chimie ont mis aussi les œufs à contribution ; ils servent à la composition des vernis, de luts pour raccommoder les porcelaines, de pâtes pour dégraisser, et une foule d'autres choses sur lesquelles de plus grands détails seraient ici fastidieux.a trouvé l'art de tondre sur un œufs.

Guy de Maupassant (1850 - 1893): des hommes et des poulets 

Maupassant, admirateur de Flaubert, développa dans ses contes et nouvelles réalistes évoquant la vie des paysans normands et des petits bourgeois. Il conta des histoires amoureuses ou les hallucinations de la folie, toujours tapies au creux de l’ennui. S’intéressant naturellement au quotidien (par sa vision naturaliste) il emploi entre autres la métaphore filée de la femme-poule ou de l’homme-coq, pour analyser les situations relationnelles de son regard acerbe. 

Un procédé stylistique très efficace pour déclencher la compassion ou le rire consiste à renverser le point de vue d’une personne pour la faire entrer dans la peau d’une autre ou d’une bête. C’est ce qui arrive dans la cruelle nouvelle Toine. Toine tenait avec bonne humeur une auberge de village et plaisantait ainsi sa maigre et taciturne femme qui engraissait des poules: 
« - Eh ! la mé Poule, ma planche, tâche d'engraisser comme ça d'la volaille. 
Tâche pour voir. Et relevant sa manche sur son bras énorme : 
- En v'là un aileron, la mé, en v'là un. » 
Par la suite, paralysé suite à une attaque cardiaque, le mari fut cloué au lit par sa femme qui le força à couver des œufs. Elle refusait de nourrir plus longtemps « un pareil propre-à-rien ». 
« Toine fut vaincu. Il dut couver, il dut renoncer aux parties de dominos, renoncer à tout mouvement, car la vieille le privait de nourriture avec férocité chaque fois qu'il cassait un œuf. Il demeurait sur le dos, l'œil au plafond, immobile, les bras soulevés comme des ailes, et chauffant contre lui les germes enfermés dans les coques blanches. Il ne parlait plus qu'à voix basse comme s'il eut craint le bruit autant que le mouvement, il s'inquiétait de la couveuse jaune qui accomplissait dans le poulailler la même besogne que lui. 
Il demandait à sa femme : 
_La jaune a-t-elle mangé aujourd'hui ? 
Et la vieille allait de ses poules à son homme et de son homme a ses poules, obsédée, possédée par la préoccupation des petits poulets qui mûrissaient dans le lit et dans le nid. 
(…) Or un matin, sa femme entra très émue et déclara : 
_La jaune en a sept. Y avait trois œufs de mauvais. 
Toine sentit battre son cœur. Combien en aurait-il, lui ? » 
Dans ce conte l’homme, par un triple renversement se trouve confronté aux même vicissitudes que la poule. Par son nouvel état d’homme paralysé il est devenu prisonnier de la volonté de sa femme et comme les poules, il est dépendant d’elle pour sa nourriture. Parce qu’il n’a plus son autonomie il est animalisé et lorsque l’un de ses ami lance à la cantonade à sa femme « pourquoi vous ne le feriez pas couver ? » la femme de Toine le prend au mot car pour elle il est devenu moins utile qu’une poule. Par une double dégradation il passe non seulement du statut d’homme autonome à celui d’animal mais il passe aussi d’un rôle fort à un rôle féminin : celui de couver ses petits avec amour. 
Cette double infortune ne lui enlève pourtant pas sa joie de vivre et il retrouve toute sa vigueur lorsqu’en voyant l’un de ses petits poussins éclôt son ami lui fait miroiter tel le dieu Chronos, une futur bonne fricassée au poulet. Le repas au poulet devient dans ce cas la réparation de la relation de Toine avec sa femme. Les reliefs de ce repas devraient être peu nombreux vu les efforts qu’il aura demandé et donner lieu à de nouvelles blagues. 
Comme nous l’avons vu plus avant le coq est lié aux rites de passage de la vie à la mort. Maupassant, de manière fort astucieuse reprend l’idée en la détournant à savoir que le chant du coq « cocorico » qui annonce l’heure, le temps qui passe, et par là même le décès prochain est devenu « coco, coco... ». 

A la même époque, Georges Sand (1804-1876) laisse également quelques notes précises sur sa façon de manger les oeufs. Le jeudi 21 avril 1864 Georges Sand décrit sa journée : « temps magnifique, très chaud avec une jolie brise douce. (...) Au retour je rencontre le comte de Gargilesse chez le maître d’école. Dieu qu’il est laid ! Le maître d’école aussi. Je dîne à la maison : soupe maigre, omelette, deux petites vandoises , fromentée, café_ patiences. J’ai reçu une lettre de Mancel d’avant-hier. Je lis Hugo- Je suis bien, quel silence !... » 
Silence des oeufs